Immigration auvergnate en Bretagne
Monsieur Serge DUIGOU Historien de la Bretagne
Photo Le Télégramme
Les LOUBIERE, poêliers et chaudronniers à Callac
« L'immigration auvergnate en Bretagne, un phénomène inattendu (on est habitué à penser notre pays comme exportateur et non importateur de bras), encore largement méconnus
La montagne nourrit mal ses familles, surtout en hiver. Que faire dans ces vallées reculées de la région d'Aurillac alors que la mauvaise saison s'installe, que la nature s'ankylose, que le chômage menace du fait du trop plein d'hommes ? Une seule alternative à l'inactivité forcée : descendre dans le "bas pays", proposer sa force de travail et son savoir-faire aux gens des plaines.
Une migration d'abord saisonnière
Alors, en septembre, en masse, les gars du Cantal quittent leur famille, leur village au joli nom qui fleure bon l'Occitanie. Ils partent en groupe, cheminent à pied, escortés d'un vieux cheval de bât chargé de paniers d'osier.
Au nord d'Aurillac, les gars de la vallée de l'Authre -- avec ses villages de Marmanhac[2], Jussac, ont pris l'habitude, depuis au moins le règne de Louis XIV, de gagner la Bretagne. Ils y sont rejoints vers 1750 par des colporteurs des monts du Cézallier, situés au nord du Cantal.
Pour des campagnes d'un an et demi en moyenne, à l'issue desquelles ils retrouvent leur pays natal pour cinq ou six mois, ils sont marchands ambulants, fréquentent les foires et marchés, font du porte à porte, de hameau en village, exposent leurs marchandises aux pardons et fêtes.
Les pittoresques chaudronniers ambulants
Ils ne passent pas inaperçus les Auvergnats, surtout les chaudronniers, personnages pittoresques, un tantinet inquiétants. Les Bretons sont fascinés par leur déballage de bassines ou de marmites cliquetantes ou résonnantes, les feux de bûches qu'ils allument sur la place des villages pour rendre fluides les métaux à reprendre, la fumée colorée et le chuintement qui accompagne les soudures.
D'une année sur l'autre, on attend le retour de l'Auvergnat, car il rend bien des services. Il commercialise et entretient le petit matériel de cuisine, de lessive ou de "confort" ménager : pots, pintes, cruches, tasses, assiettes, chaudrons, bassins, fontaines, chandeliers. Mais il reprend aussi le métal usagé et le recycle. Il est un partenaire apprécié de la vie économique des campagnes. D'autant que comme tout chemineau, il n'a pas son pareil pour colporter les nouvelles, raconter des histoires, sortir sa clientèle de son quotidien et de sa routine.
Moins nombreux, mais plus prestigieux, véritable aristocratie des Auvergnats forains, les marchands de drap et de couvertures s'approvisionnent aux grandes foires normandes de Caen et Guibray, actuelle banlieue de Falaise. A l'occasion, ils diversifient leurs marchandises et proposent aux recteurs des villes et des campagnes des effets d'église, croix, chandeliers, tabernacles, bénitiers, mouchettes, lampes...
Les colporteurs se sédentarisent
Les Auvergnats descendent dans les auberges, toujours les mêmes, à défaut dans les granges, ou chez l'habitant, parfois un "pays" déjà installé, nouent avec leur clientèle des relations de confiance, font, à la longue, partie du paysage. On attend leur retour, on apprécie leurs nouveautés.
A force, les jeunes gens finissent par faire la connaissance de Bretonnes, des alliances se nouent, et de marchands forains, nombre d'Auvergnats se muent en commerçants sédentaires. Ils s'établissent dans le pays de leur épouse, ouvrent boutique sur la place des bourgs ou dans les rues commerçantes des villes.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire, ces jeunes gens ne souffrent pas d'une mauvaise image auprès des Bretons. Ils sont travailleurs, durs à la peine, familiers des circuits d'échange, rompus aux techniques de circulation monétaire. En outre, ils parlent français, un atout considérable dans le pays bretonnant, et sont au coeur d'un impressionnant réseau de solidarité qui tisse sa toile dans l'ensemble de la province. Les Auvergnats se tiennent les coudes. Bref, des partis tout à fait acceptables pour le monde de l'échoppe et de la boutique ; et même des partis recherchés, comme en témoignent les nombreuses familles bourgeoises qui prennent un Cantalien pour gendre.
Toute la Bretagne touchée
Impossible au stade actuel des recherches de chiffrer avec précision l'ampleur du phénomène de migration de l'Auvergne vers la Bretagne. Mais il a touché l'ensemble de la province. Au début du XIXe siècle, il n'existait quasiment pas de ville ou de bourg bretons qui n'avait pas au moins un Auvergnat sédentarisé à demeure.
Ces non-bretonnnants d'origine - par leur épouse, ils sont vite devenus bilingues-, implantés massivement dans les villes comme commerçants, ont contribué au grossissement de la minorité "giz-ker" de nos cités, de vêture et de culture davantage françaises que bretonnes… »
Les LOUBIERE arrivent à Callac vers les années 1750, mais il est évident qu'ils fréquentaient les foires et marchés depuis plusieurs décennies. Nous les trouvons à Prat, à Étables, à Saint-Laurent et au Minihy-Tréguier. Le couple qui fait souche à Callac est Jacques et Françoise GUIDARD ou GUITARD et ses deux fils Pierre et Antoine. Au décès de son épouse Françoise, sûrement à Marmanhac au cours d'un retour au pays, il se marie avec une callacoise en 1776, Jeanne LALLOUR, fille de Charles et Marie HEMERY et dont il aura une fille, Barbe Jeanne, qui elle, épousera en 1801 Christophe François LE BOUÉDEC.
Jacques est déclaré marchand lors de la formation de la première municipalité de Callac le 28 février 1790.
Antoine, le fils aîné de Jacques, marchand poêlier à Callac, épouse en 1783 Marie Louise LE GALL, dont il aura six enfants, trois garçons et trois filles, mais ce couple et leurs enfants quitteront vraisemblablement Callac et sa région vers les années 1800.
Le fils cadet de Jacques, Pierre, fait souche à Callac en épousant le 16 février 1795, Anne CORGAT, la fille du marchand aubergiste de Callac, René CORGAT . Mais il décède un an plus tard en janvier 1796, six mois avant la naissance de sa fille Marie Anne qui elle en épousant Pierre Yves LOSTEC, fera souche à Callac.
Antoine, qui porte le même prénom que son frère, quitte Callac pour Landivisiau en 1791 pour épouser Marie Perinne BAGOT.
Malgré toutes nos recherches, les LOUBIERE n'ont pas laissé de descendance mâle dans la région de Callac ; mais ce patronyme existe encore de nos jours dans les trois départements bretons suivants : Côtes d'Armor, Ille-et-Vilaine et Morbihan
Baud entre Auvergne et Bretagne (Le Télégramme 29 mai 2009)
Un certain nombre de familles baldiviennes sont issues d'émigrés auvergnats. Ce sont les résultats de récentes recherches menées par Josiane Laurent et Jean-François Nicolas, du groupe Histoire du pays de baud. Parmi les familles les plus connues, on peut citer celle de Jean Giraldon (père de treizefilles), qui avait acquis les ruines du château de Quinipily en 1799, et les familles de la Ferrière et Delord, qui ont donné deux maires à Baud, au XIXesiècle. Il existe encore des descendants mais certains, issus des lignées féminines, ne portent plus le nom. Pour ne citer qu'un exemple, le dernier docteur Delord a eu huit enfants dont un seul fils.
Trois ans de recherches
«Lors d'enquêtes sur divers sujets, en consultant les registres civils et paroissiaux, j'ai été intriguée par un lot de noms à consonance «étrangère». Ils correspondaient tous à des personnes des évêchés de Saint-Flour, soit des environs d'Aurillac», raconte Josiane Laurent qui travaille sur le sujet depuis fin 2006. Ses investigations l'ont conduite à Carnat, Vezac et Yolet.
Une conférence
«J'ai échangé avec d'autres groupes d'histoire, en particulier avec Serge Duigou, auteur de «Nos ancêtres auvergnats». J'ai étudié des cadastres, des registres de chaque nom propre portant un numéro d'immigration auvergnate. Les communes de Camors et Languidic ont également été des terres d'accueil de ces migrants. D'abord saisonniers, principalement des chaudronniers, ils se sont sédentarisés en épousant des Bretonnes et ont pris racines», poursuit-elle. Une partie de ce travail sera restituée au cours d'une conférence, le 5juin, à 20h, au centre social. Serge Duigou interviendra pour parler des descendants communs. L'occasion, peut-être pour certains de recouvrer la trace de leurs aïeux
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